Le colonialisme Russe
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Le colonialisme Russe
Zbigniew Kowalewski a écrit:[…] La formation sociale de la Russie a été et reste particulière au cours des phases historiques successives de son développement, à commencer par le Tsarat de Russie (1547-1721). […] Sans doute à partir du milieu du XVIe siècle, à l’époque d’Ivan le Terrible, la formation sociale russe était essentiellement une combinaison de deux modes d’exploitation précapitalistes différents. Le premier, féodal, était fondé sur le fait que les propriétaires terriens extorquaient un surtravail aux paysans sous la forme d’une rente. L’autre, tributaire, était modelé sur l’Empire ottoman, alors le plus puissant [7], et reposait sur l’extraction de l’impôt aux paysans par la bureaucratie étatique.
[…Mais,] depuis le milieu du XVIIe siècle et presque jusqu’à l’abolition du servage en 1861, la troisième forme d’exploitation – et la plus terrible pour la paysannerie – c’était l’esclavage, y compris la traite des êtres humains, vers lequel le servage russe a dégénéré en réalité.
Dernière édition par Monsieur Trololo le Mar 22 Oct - 16:45, édité 1 fois
Monsieur Trololo- Vénérable
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Re: Le colonialisme Russe
Un surproduit minimal
Aucun de ces modes d’exploitation ne représentait (contrairement aux habitudes discursives prétendument marxistes) un mode de production, car il ne parvenait pas à se subordonner […] les forces productives, et ne garantissait donc pas leur développement […] systémique. Cependant, c’est sur la base de ces modes d’exploitation que s’est formé l’État russe si particulier. […].
Leonid Milov […] a développé une conception clé de « l’histoire de la Russie en tant que société à surproduit total minimal » [8]. En voici les raisons : par rapport à d’autres sociétés paysannes une très brève saison agricole en Russie centrale, déterminée par le climat, qui ne durait que de début mai à début octobre (en Europe occidentale, les paysans ne travaillaient pas dans les champs seulement en décembre et janvier) et la prédominance des terres pauvres en humus. Cela a eu pour conséquences, « jusqu’à la mécanisation de ce type de travail, une faible fertilité et, donc, un faible volume du surproduit total de la société », ce qui « a créé dans cette région les conditions de l’existence, pendant des siècles, d’une société agricole relativement primitive ». […] Le surtravail des paysans ne pouvait être extorqué […] sans leur imposer le régime de servage le plus dur possible […].
Monsieur Trololo- Vénérable
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Re: Le colonialisme Russe
Où commence la périphérie
[…] L’expansion coloniale, militaire et étatique séculaire vers le sud, le sud-est et l’est a progressivement englobé de vastes zones, des territoires périphériques « allogènes » de plus en plus étendus et des pays voisins de plus en plus éloignés, victimes de la conquête. Cette expansion s’est accompagnée de plusieurs centaines d’années de lutte de la part du Tsarat de Russie (1547-1721) puis de l’Empire russe (1721-1917) pour l’accès aux ports libres de glace sur les mers à l’ouest et à l’est […et au sud].
Monsieur Trololo- Vénérable
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Re: Le colonialisme Russe
Conquêtes militaro-coloniales
[…] Contrairement à la mythologie russe, la conquête d’un espace aussi énorme que la Sibérie n’a pas « étendu le territoire moscovite jusqu’à la frontière avec la Chine », mais a transformé la Sibérie en une colonie typique. Pourtant il est devenu courant de percevoir la Sibérie comme une partie inséparable de la Russie, de même que plus tard la Pologne, la Lituanie, la Finlande, le Caucase, Boukhara et Touva – entre autres.
Certains historiens russes, apportant ainsi leur contribution théorique à la construction de « l’idée russe » dominante et intemporelle, ont très habilement appelé ce phénomène « l’auto-colonisation de la Russie » : les terres successives dont elle s’est emparée ne sont pas devenues ses colonies, mais elle s’est « colonisée elle-même » [9], car elle était sans bornes (et le reste dans son idéologie dominante, de manière affirmée ou cachée). Après avoir pris l’Ukraine de la rive gauche du Dniepr au XVIIe siècle, la participation de la Russie à la partition de la République des Deux Nations (Pologne-Lituanie) dans les dernières décennies du XVIIIe siècle lui a permis de s’emparer de la majeure partie de l’Ukraine de la rive droite – soit au total 80 % des terres ukrainiennes. Cela s’est avéré être un gain stratégique fondamental, atteignant en profondeur l’Europe et déterminant la portée et le caractère eurasien de l’Empire russe.
Si la noblesse russe était un ordre dominant, la terre n’est jamais devenue entièrement la propriété privée du noble. Cela aurait été contraire aux intérêts primordiaux de cet État impérial, dans la construction duquel aucune classe sociale n’a joué un rôle aussi important que lui-même – ses appareils et son personnel bureaucratique. Ce n’était pas seulement la construction d’une armée colossale au prix de 25 ans de service militaire des paysans et d’immenses infrastructures militaires et civiles financées par le travail forcé de centaines de milliers d’autres paysans, appartenant aussi bien à l’État qu’à des propriétaires terriens, mais aussi des brigades entières de maîtres envoyées au travail réellement forcé dans différentes parties du pays. De plus, comme le dit Milov, « la machine étatique a été contrainte de faire avancer le processus de division sociale du travail, et surtout la séparation de l’industrie et de l’agriculture », contre les modes d’exploitation dominants qui entravaient ce processus.
Monsieur Trololo- Vénérable
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Re: Le colonialisme Russe
Servage industriel
En conséquence, « la participation de l’État à la création de l’industrie dans le pays a contribué à un bond gigantesque dans le développement des ’forces productives’, bien que l’emprunt des ’technologies occidentales” par la société archaïque au XVIIe et XVIIIe siècle ait eu un effet social monstrueux : est apparue une masse de travailleurs attachés pour toujours aux usines et aux lieux de travail (les “soumis à perpétuité”), ce qui a stimulé le glissement de la société vers l’esclavage »14. L’énorme complexe militaro-industriel russe, dont le noyau était la métallurgie ouralienne, n’a pas été établi sur la base du développement des relations capitalistes, mais dans le cadre des relations féodales et tributaires.
Il est vrai que le capital a fleuri, mais il était précapitaliste et entravait le développement du capitalisme – « le capital marchand se développait non en profondeur, non en transformant la production, mais en largeur, accroissant le rayon de ses opérations », en se déplaçant « du centre vers la périphérie, à la suite des paysans qui se dispersaient et, à la recherche de terres nouvelles et d’exemptions fiscales, pénétraient sur de nouveaux territoires » [10]. Fondés sur la coercition non économique, les modes d’exploitation précapitalistes ont dominé le mode de production capitaliste en Russie jusqu’à la révolution de 1917, non seulement dans l’agriculture mais aussi dans l’industrie, encore longtemps après la réforme de 1861 (abolition du servage).
Lorsque la social-démocratie russe s’est constituée en parti, le travail d’environ 30 % des ouvriers industriels était encore un travail de servage, et non un travail salarié, ce que cette social-démocratie, y compris l’Iskra, associant l’industrie (c’est-à-dire les forces productives, et non les relations de production) au capitalisme, n’a pas vu. « Même au début du XXe siècle, plus de la moitié des entreprises du principal noyau industriel (la sidérurgie) n’étaient pas capitalistes au sens strict du terme », affirme Mikhail Voeikov. Les méthodes précapitalistes d’extraction du surproduit du travail des producteurs directs prévalaient […]
Monsieur Trololo- Vénérable
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Re: Le colonialisme Russe
Multiplicité de révolutions
[…] Le fondement de cet impérialisme [militaire et féodal] est « le monopole de la force militaire, l’immensité du territoire ou des commodités particulières de spoliation des allogènes, de la Chine, etc. », c’est-à-dire des peuples non russes à l’intérieur de la Russie elle-même et des peuples des pays voisins. […] L’effondrement de cet enchevêtrement de l’impérialisme « militaire et féodal » russe avec l’impérialisme capitaliste n’a pas été l’œuvre d’une seule révolution, mais de diverses révolutions convergentes et divergentes, formant des alliances et s’affrontant violemment. La révolution russe était l’une d’entre elles. Au centre de l’empire, elle était ouvrière et paysanne ; dans la périphérie coloniale, elle était basée sur les minorités urbaines russes et russifiées et les colonies de peuplement. Elle avait un caractère colonisateur, tout comme le pouvoir russe des conseils qu’elle a instaurés, comme l’a démontré le bolchevik Georgi Safarov dans son ouvrage autrefois classique sur la « révolution coloniale » au Turkestan. « L’appartenance au prolétariat industriel de la colonie tsariste était un privilège national des Russes. C’est pourquoi, ici aussi, la dictature du prolétariat [sic] a pris dès les premiers instants une apparence typiquement colonisatrice » [11].
Mais parmi les peuples opprimés, la révolution russe a également déclenché des révolutions nationales. La plus territorialement étendue, la plus violente, la plus dynamique et la plus imprévisible d’entre elles a été la révolution ukrainienne. Son jaillissement, et encore plus l’élan qu’elle a pris, étaient inattendus. Une nation paysanne, sans « ses » propriétaires terriens et « ses » capitalistes, avec une mince couche de petite bourgeoisie et d’intelligentsia et une langue interdite, ne semblait pas destinée ou capable de la réaliser. Depuis que l’armée russe a anéanti en 1775 la Sitch zaporogue, le bastion des cosaques libres, le peuple ukrainien a pour la première fois revendiqué son indépendance. […]
Lorsque l’Union soviétique prenait forme en tant qu’organisme étatique en 1922-1923, les bolcheviks ukrainiens parlaient ouvertement du fait que « les préjugés de grande puissance, nourris par le lait maternel, étaient devenus un instinct chez de très nombreux camarades » […]. Rakovski s’était alors farouchement opposé à Staline, à la tête de ceux qui réclamaient l’indépendance de l’Ukraine et la création d’une union d’États soviétiques indépendants [12]. […]
Monsieur Trololo- Vénérable
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Re: Le colonialisme Russe
Jean-Marc Royer a écrit:1. La métallurgie établie au pied de l’Oural depuis les débuts du xviie siècle fut, jusqu’au milieu du siècle passé, un des centres du complexe militaro-industriel russe. Mais cette industrie, si importante dans le processus d’accumulation primitive du capital, fut érigée dans le cadre de relations féodales, tributaires et serves. Comme d’autre part elle a pu subsister en essaimant sur l’immense empire qui constituait son marché exclusif, elle a peu contribué à l’avènement de rapports de production typiquement capitalistes comme cela s’est produit en Occident.
2. La spoliation des autochtones ou des peuples voisins afin de constituer l’immensité du territoire impérial requérait un monopole absolu de la force militaire qui ne pouvait être exercé de manière sûre et pérenne que par une aristocratie russe vassalisée. Par ailleurs, cela s’est accompagné d’une colonisation de peuplement que nécessitait le développement extensif si particulier du capital en Russie. Si la révolution de 1917 fut, certes, le fait des ouvriers et des centres urbains de l’empire, ailleurs, les colonisations et la domination de l’aristocratie ouvrière russe ou russifiée ont renforcé le caractère colonisateur des soviets, puis des Kolkhozes. C’est à travers ces trois phénomènes que cet empire a traversé les derniers siècles.
3. Parmi les peuples opprimés, la révolution russe a – brièvement – favorisé l’éclosion de révolutions nationales. Les plus complexes, les plus fragiles et les plus tragiques d’entre elles ont été vécues en Ukraine. D’autant que la cohabitation de plusieurs ethnies, les oppressions séculaires, le morcellement du territoire sous diverses dominations n’ont pas favorisé une unité politique appropriée à son accomplissement, comme ce fut le cas au xviiie siècle en France par exemple. En outre, l’impérium du grand voisin s’y est décisivement opposé ; dès 1922-1923, les révolutionnaires ukrainiens parlaient ouvertement du fait que « les préjugés de grande puissance étaient devenus un instinct chez de très nombreux camarades russes » [20].
4. Fondamentalement, l’écrasement par la terreur des aspirations indépendantistes de l’Ukraine entre 1918 et 1922, puis le massacre de masse à caractère génocidaire de sa population lors de l’Holodomor [21] (1932-1933), furent à la fois un acte constitutif de la dictature stalinienne et un acte de renaissance de l’impérialisme russe.
5. La revendication d’une nation « trinitaire » – Russes, Ukrainiens et Biélorusses pour simplifier – c’était une expression entrant dans la titulature des tsars et des patriarches de Moscou qui justifiait officiellement l’existence et l’expansion de l’Empire russe. Après l’effondrement de l’empire soviétique sur sa propre corruption politique, matérielle et morale, le cercle dirigeant du Kremlin a lutté depuis le début du xxie siècle pour faire renaître un empire qui, sans contrôle en particulier sur l’Ukraine [22], aurait perdu une partie de sa puissance géopolitique (gazoducs et pipe-lines traversants et sous contrôle, ports en mer noire et accès à la Méditerranée…).
Monsieur Trololo- Vénérable
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Date d'inscription : 03/08/2021
Re: Le colonialisme Russe
vers lequel le servage russe a dégénéré en réalité.
ça dépend du seigneur et de sa capacité à surveiller.
En faîte quand il ya eu la révolution libérale les capitaloches surveillaient tous leur paysans pour leur imposer des cadences infernales.
Revanchisti- Vénérable
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Re: Le colonialisme Russe
Mais du coup c'était des plutôt des seigneurs pas des capitaloches qui imposaient ces cadences infernales à la paysannerie.
Monsieur Trololo- Vénérable
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Date d'inscription : 03/08/2021
Re: Le colonialisme Russe
Monsieur Trololo a écrit:Mais du coup c'était des plutôt des seigneurs pas des capitaloches qui imposaient ces cadences infernales à la paysannerie.
En gros des capitalistes avant l'heure qui avaient besoin de serfs, rien n'a vraiment changé sauf les nominations.
Nous parlons désormais de patrons philanthropes et de travailleurs cégétistes.
Crapouille la vinasse- Maître
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Date d'inscription : 16/07/2023
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