L’opération Barkhane ou l’impuissance destructrice au Sahel
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L’opération Barkhane ou l’impuissance destructrice au Sahel
L’opération Barkhane ou l’impuissance destructrice au Sahel.
L’armée française perd du terrain au Sahel. Certes elle peut se targuer de quelques « réussites » comme la neutralisation de plus de 600 djihadistes parmi lesquels Oumarou Mobo Modhi (spécialiste de la confection des engins explosifs improvisés), Baye Ag Bakabo (auteur du rapt dans lequel les journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été assassinés), Adnan Abou Walid al-Sahraoui (responsable du groupe Etat Islamique au Grand Sahara, EIGS), ou dernièrement Soumana Boura (l’un des membres du commando qui avait exécuté des membres de l’association Acted dans le parc de Kouré au Niger). Cependant, ces faits d’armes paraissent bien dérisoires au regard de la situation catastrophique au Sahel.
L’ensemble des commentateurs et experts sont d’accord sur le diagnostic. Le résumé en est fait par le secrétaire Général des Nations-Unis dans sa lettre en date du 4 octobre 2021 :
« La situation sécuritaire au Sahel demeure très précaire. Le niveau élevé de violence continue de limiter la capacité des États de la région à assurer la continuité des services sociaux et à garantir la sécurité des populations. Le terrorisme poursuit son avancée dans la région et touche désormais les pays côtiers. Certaines parties du Burkina Faso, du Mali et du Niger sont en proie à des flambées de violence intercommunautaire qui provoquent des déplacements massifs, créant un vide dans lequel s’engouffrent les groupes terroristes et érodant ainsi davantage l’autorité de l’État (…) le Sahel affronte une crise exceptionnelle. En 2021, le nombre de Sahéliens ayant besoin d’aide et de protection devrait atteindre environ 29 millions, soit 5 millions de plus qu’en 2020 » [1]
Les interventions de l’armée française à l’extérieur pendant longtemps ont été guidées par des théories militaires s’inscrivant dans le cadre colonial. Le but était de se maintenir dans les territoires conquis. C’est à partir de ces objectifs que le général Gallieni avait défini les modes opératoires qui ont guidé l’armée française jusqu’à la fin de la période coloniale. Il s’agissait grosso modo de sécuriser des zones comparées à des « tâches d’huile ». Celles-ci peuvent se répandre grâce au travail, supposé « bénéfique » pour les locaux, mené par l’armée française, le fameux « gagner les cœurs et les esprits des populations ». Ou se répandre par la terreur comme en témoigne par exemple le massacre des membres du mouvement Menalemba à Madagascar en 1897. Lyautey va enrichir ce procédé en instaurant une surveillance étroite des populations. Cela donnera naissance plus tard au concept de guerre contre-révolutionnaire qui sera utilisé contre la révolution algérienne.
Aujourd’hui, les interventions militaires de l’armée française sont avant tout des opérations de maintien de l’ordre contre « l’ennemi intérieur » – à l’exception notable de l’implication des forces françaises au Tchad face aux combattants soutenus par les Libyens en 1978 et 1983. Les théories militaires ont aussi évolué avec les apports de David Galula. Ses écrits deviendront la base de la doctrine de l’armée française dans le document appelé « contre-insurrection ». Ce texte sera élaboré à la suite de la participation de la France aux opérations militaires en Afghanistan en 2012 et 2013 et circonscrit les objectifs adéquats à une intervention militaire à l’extérieur. Si ce document renouvelle la doctrine militaire, il conserve comme fil conducteur la relation avec la population comme un des enjeux majeurs dans un conflit, [2] en indiquant cependant que :
« gagner les cœurs et les esprits » de la population paraît irréaliste, voire inadapté. (…) Il s’agit donc plutôt de « libérer les cœurs et les esprits » que de les « gagner ». » [3]
Sans être exhaustif, on peut citer les idées principales de ce texte. Si hier l’intervention avait pour but la conquête d’un pays ou d’un territoire, aujourd’hui l’objectif est d’en partir le plus vite possible [4]. Les raisons d’une opération extérieure de l’armée doivent être claires et ne peuvent certainement pas être le retour à la situation antérieure car c’est précisément cette situation qui est la source de l’insurrection. Le but est donc l’établissement d’un nouveau contrat social dans le pays hôte [5]. Cette vision d’une nouvelle politique doit être portée par les autorités politiques du pays et certainement pas par les forces militaires d’intervention. [6] Ces dernières s’efforceront de renforcer la présence des services publics du pays hôte. Elles se doivent aussi d’être intraitables avec les forces loyalistes qui ne respectent pas les civils [7].
L’interrogation de Michael Shurkin, expert militaire américain et analyste au cabinet de consultant pour l’Afrique à 14 North Strategies, est des plus pertinentes :
« ‘Contre-insurrection’ laisse une question majeure sans réponse : Que se passe-t-il si la nation hôte n’est pas à la hauteur du défi et capable de concevoir et de promouvoir un projet politique alternatif qui améliorerait le statu quo ante et couperait l’herbe sous le pied des insurgés ? » [8]
C’est exactement la situation où se trouve aujourd’hui l’opération Barkhane, comme le souligne d’ailleurs le document « contre-insurrection ». Il y a conflit militaire parce qu’il y une crise sociale et politique profonde dans le pays hôte. Il n’est donc pas étonnant que Barkhane coche, comme nous essaierons de le montrer dans cet article, la presque totalité des cases de ce qu’il ne faut pas faire selon la doctrine officielle de l’armée.
La déstabilisation du Sahel s’inscrit dans la crise des états postcoloniaux des trois pays Mali, Burkina Faso et Niger. Elle se décline en conflits spécifiques selon les régions, le centre et le nord du Mali et la région de Liptako Gourma dite des « trois frontières ».
C’est en appréhendant les particularités de chaque crise, que l’on peut souligner l’inefficience des réponses globalisantes, a fortiori quand elles se résument pour une large part à une action militaire.
L’armée française perd du terrain au Sahel. Certes elle peut se targuer de quelques « réussites » comme la neutralisation de plus de 600 djihadistes parmi lesquels Oumarou Mobo Modhi (spécialiste de la confection des engins explosifs improvisés), Baye Ag Bakabo (auteur du rapt dans lequel les journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été assassinés), Adnan Abou Walid al-Sahraoui (responsable du groupe Etat Islamique au Grand Sahara, EIGS), ou dernièrement Soumana Boura (l’un des membres du commando qui avait exécuté des membres de l’association Acted dans le parc de Kouré au Niger). Cependant, ces faits d’armes paraissent bien dérisoires au regard de la situation catastrophique au Sahel.
L’ensemble des commentateurs et experts sont d’accord sur le diagnostic. Le résumé en est fait par le secrétaire Général des Nations-Unis dans sa lettre en date du 4 octobre 2021 :
« La situation sécuritaire au Sahel demeure très précaire. Le niveau élevé de violence continue de limiter la capacité des États de la région à assurer la continuité des services sociaux et à garantir la sécurité des populations. Le terrorisme poursuit son avancée dans la région et touche désormais les pays côtiers. Certaines parties du Burkina Faso, du Mali et du Niger sont en proie à des flambées de violence intercommunautaire qui provoquent des déplacements massifs, créant un vide dans lequel s’engouffrent les groupes terroristes et érodant ainsi davantage l’autorité de l’État (…) le Sahel affronte une crise exceptionnelle. En 2021, le nombre de Sahéliens ayant besoin d’aide et de protection devrait atteindre environ 29 millions, soit 5 millions de plus qu’en 2020 » [1]
Les interventions de l’armée française à l’extérieur pendant longtemps ont été guidées par des théories militaires s’inscrivant dans le cadre colonial. Le but était de se maintenir dans les territoires conquis. C’est à partir de ces objectifs que le général Gallieni avait défini les modes opératoires qui ont guidé l’armée française jusqu’à la fin de la période coloniale. Il s’agissait grosso modo de sécuriser des zones comparées à des « tâches d’huile ». Celles-ci peuvent se répandre grâce au travail, supposé « bénéfique » pour les locaux, mené par l’armée française, le fameux « gagner les cœurs et les esprits des populations ». Ou se répandre par la terreur comme en témoigne par exemple le massacre des membres du mouvement Menalemba à Madagascar en 1897. Lyautey va enrichir ce procédé en instaurant une surveillance étroite des populations. Cela donnera naissance plus tard au concept de guerre contre-révolutionnaire qui sera utilisé contre la révolution algérienne.
Aujourd’hui, les interventions militaires de l’armée française sont avant tout des opérations de maintien de l’ordre contre « l’ennemi intérieur » – à l’exception notable de l’implication des forces françaises au Tchad face aux combattants soutenus par les Libyens en 1978 et 1983. Les théories militaires ont aussi évolué avec les apports de David Galula. Ses écrits deviendront la base de la doctrine de l’armée française dans le document appelé « contre-insurrection ». Ce texte sera élaboré à la suite de la participation de la France aux opérations militaires en Afghanistan en 2012 et 2013 et circonscrit les objectifs adéquats à une intervention militaire à l’extérieur. Si ce document renouvelle la doctrine militaire, il conserve comme fil conducteur la relation avec la population comme un des enjeux majeurs dans un conflit, [2] en indiquant cependant que :
« gagner les cœurs et les esprits » de la population paraît irréaliste, voire inadapté. (…) Il s’agit donc plutôt de « libérer les cœurs et les esprits » que de les « gagner ». » [3]
Sans être exhaustif, on peut citer les idées principales de ce texte. Si hier l’intervention avait pour but la conquête d’un pays ou d’un territoire, aujourd’hui l’objectif est d’en partir le plus vite possible [4]. Les raisons d’une opération extérieure de l’armée doivent être claires et ne peuvent certainement pas être le retour à la situation antérieure car c’est précisément cette situation qui est la source de l’insurrection. Le but est donc l’établissement d’un nouveau contrat social dans le pays hôte [5]. Cette vision d’une nouvelle politique doit être portée par les autorités politiques du pays et certainement pas par les forces militaires d’intervention. [6] Ces dernières s’efforceront de renforcer la présence des services publics du pays hôte. Elles se doivent aussi d’être intraitables avec les forces loyalistes qui ne respectent pas les civils [7].
L’interrogation de Michael Shurkin, expert militaire américain et analyste au cabinet de consultant pour l’Afrique à 14 North Strategies, est des plus pertinentes :
« ‘Contre-insurrection’ laisse une question majeure sans réponse : Que se passe-t-il si la nation hôte n’est pas à la hauteur du défi et capable de concevoir et de promouvoir un projet politique alternatif qui améliorerait le statu quo ante et couperait l’herbe sous le pied des insurgés ? » [8]
C’est exactement la situation où se trouve aujourd’hui l’opération Barkhane, comme le souligne d’ailleurs le document « contre-insurrection ». Il y a conflit militaire parce qu’il y une crise sociale et politique profonde dans le pays hôte. Il n’est donc pas étonnant que Barkhane coche, comme nous essaierons de le montrer dans cet article, la presque totalité des cases de ce qu’il ne faut pas faire selon la doctrine officielle de l’armée.
La déstabilisation du Sahel s’inscrit dans la crise des états postcoloniaux des trois pays Mali, Burkina Faso et Niger. Elle se décline en conflits spécifiques selon les régions, le centre et le nord du Mali et la région de Liptako Gourma dite des « trois frontières ».
C’est en appréhendant les particularités de chaque crise, que l’on peut souligner l’inefficience des réponses globalisantes, a fortiori quand elles se résument pour une large part à une action militaire.
Vladimir de Volog- Vénérable
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