Leçons à Volog.
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Leçons à Volog.
Décrypter la langue de l’ennemi
Pour pouvoir communiquer ses idées et proposer une alternative au langage dominant, il faut commencer par comprendre ce langage, c’est-à-dire par le traduire. La propagande en vigueur recourt à une novlangue très codifiée et il importe de savoir ce que signifient réellement les mots utilisés et de ne pas se fier uniquement à leurs connotations et aux appréciations positives ou négatives qu’ils véhiculent. « Dans les époques exigeant la tromperie et favorisant l’erreur, disait Bertolt Brecht, le penseur s’efforce de rectifier ce qu’il lit et ce qu’il entend. Phrase après phrase, il substitue la vérité à la contre-vérité. »3 Un plan social dans une entreprise est-il aussi social que le terme le laisse entendre ? Pourquoi l’acronyme GPA (« gestation pour autrui ») évoque-t-il une idée d’altruisme plutôt que de marchandisation ? Pourquoi parle-t-on plus volontiers dans la presse d’IVG (« interruption volontaire de grossesse ») que d’avortement et pourquoi les Femen ont-elles demandé à ce que l’appellation de « pro-vie » soit remplacée par celle d’ « anti-choix » ? Cette manipulation des mots se retrouve à la fois dans la désignation de l’autre comme dans l’autodésignation, qui est souvent la confiscation d’une idée ou d’un principe : on sait que les « socialistes » du parti à la rose n’ont plus de socialiste que le nom et on sait que les « républicains » revendiquent une identité politique qui devrait échoir à l’ensemble des partis en présence dans la France d’aujourd’hui4. Comprendre l’ennemi, c’est décrypter sa novlangue, c’est mettre à jour la distorsion de sens à laquelle il se livre lorsqu’il choisit ses mots.
Dans son livre Langage et idéologie5, le philosophe Olivier Reboul explique que la propagande recourt souvent à des mots-choc, des mots qui sidèrent le public, qui le médusent et lui retirent toute capacité de réaction ou même de réflexion rationnelle. Selon l’essayiste Laurent Fidès, la peur entrainée par certains de ces mots-choc conditionne à la longue certains réflexes et ces réflexes demeurent et finissent par se normaliser, même après l’atténuation ou l’extinction du sentiment de peur qui les avait originellement inspirés. « On voit ici fonctionner un processus d’intimidation à double détente, écrit-il. Dans un premier temps, c’est la peur qui contraint au silence, puis la règle du silence acquiert sa propre autorité et passe pour être normale. On ne s’exprimera plus sur certains sujets non pas à cause de menaces potentielles, mais par conviction que ces sujets n’ont pas à être abordés sous un angle critique et que ceux qui s’aventurent dans cette voie sont des individus malintentionnés et peu fréquentables. »6
Les mots ne sont pas innocents et ils le sont d’autant moins dans une communication qui associe à chacun d’eux une connotation positive ou négative en fonction de leur degré de conformité à l’idéologie dominante. Pour prendre un exemple exotique (ce qui, comme on l’a bien compris de Montesquieu à Bourdieu, est un excellent moyen de se « décadrer » pour mieux jeter un regard critique sur notre propre société), je citerais celui de la propagande nord-coréenne, fort différente de la nôtre et certainement moins subtile, mais chez laquelle on peut retrouver des procédés de manipulation de la langue étonnamment proches de ceux qui sont à l’œuvre sous nos latitudes. Comme observateur de la société nord-coréenne, Philippe Grangereau remarque : « A tout ce qui compte, est automatiquement attaché un jugement de valeur ; ce qui bien entendu réduit d’autant le champ d’expression de la pensée. Un esprit sain voudrait-il se rebeller qu’il ne trouverait qu’avec difficulté les mots pour s’exprimer. »7 Les mots ne sont pas que de simples véhicules du sens : dans bien des cas le sens, sa réalité même, est conditionnée par l’existence du mot.
La novlangue ne fonctionne en effet pas seulement sur la base d’un « grand remplacement linguistique » (la substitution de certains mots par d’autres dans l’intérêt de l’idéologie dominante) mais aussi par la disparition pure et simple de certains mots. Sans vouloir rouvrir la vieille querelle du nominalisme, le fait est que la plupart des linguistes s’accordent à penser que chez l’être humain, les concepts qui cessent d’être nommés cessent, à terme, d’exister comme concepts. Je ne parle pas bien sûr des objets du monde sensible, qui peuvent continuer d’avoir une existence en soi même si nous ne parlons plus d’eux, mais des idées, de ce qui relève de l’abstraction. La richesse ou la pauvreté de telle ou telle langue relativement à tel ou tel concept en dit en général beaucoup sur la mentalité d’un peuple. Rappelons-nous, par exemple, le nombre de termes désignant des formes et des nuances différentes de l’amour chez les anciens Grecs. Michel Maffesoli disait qu’ « une idéologie s’achève quand elle n’a plus les mots pour décrire le réel » et « quand un mot ne désigne plus rien de probant, il devient incantatoire »8. C’est particulièrement vrai pour des mots comme liberté dont Rousseau nous disait que s’il était trop prononcé, trop invoqué, trop affiché dans une cité, c’est qu’il y avait tout lieu de penser que cette cité vivait sous un régime de tyrannie. Cette leçon ne pourrait-elle pas être appliquée à la France actuelle, dont les politiques et les médias n’ont que les mots de démocratie et de vivre-ensemble à la bouche ? L’omniprésence de ces mots incantatoires dans la novlange semble en effet inversement proportionnelle à leur réalité au quotidien.
Pour pouvoir communiquer ses idées et proposer une alternative au langage dominant, il faut commencer par comprendre ce langage, c’est-à-dire par le traduire. La propagande en vigueur recourt à une novlangue très codifiée et il importe de savoir ce que signifient réellement les mots utilisés et de ne pas se fier uniquement à leurs connotations et aux appréciations positives ou négatives qu’ils véhiculent. « Dans les époques exigeant la tromperie et favorisant l’erreur, disait Bertolt Brecht, le penseur s’efforce de rectifier ce qu’il lit et ce qu’il entend. Phrase après phrase, il substitue la vérité à la contre-vérité. »3 Un plan social dans une entreprise est-il aussi social que le terme le laisse entendre ? Pourquoi l’acronyme GPA (« gestation pour autrui ») évoque-t-il une idée d’altruisme plutôt que de marchandisation ? Pourquoi parle-t-on plus volontiers dans la presse d’IVG (« interruption volontaire de grossesse ») que d’avortement et pourquoi les Femen ont-elles demandé à ce que l’appellation de « pro-vie » soit remplacée par celle d’ « anti-choix » ? Cette manipulation des mots se retrouve à la fois dans la désignation de l’autre comme dans l’autodésignation, qui est souvent la confiscation d’une idée ou d’un principe : on sait que les « socialistes » du parti à la rose n’ont plus de socialiste que le nom et on sait que les « républicains » revendiquent une identité politique qui devrait échoir à l’ensemble des partis en présence dans la France d’aujourd’hui4. Comprendre l’ennemi, c’est décrypter sa novlangue, c’est mettre à jour la distorsion de sens à laquelle il se livre lorsqu’il choisit ses mots.
Dans son livre Langage et idéologie5, le philosophe Olivier Reboul explique que la propagande recourt souvent à des mots-choc, des mots qui sidèrent le public, qui le médusent et lui retirent toute capacité de réaction ou même de réflexion rationnelle. Selon l’essayiste Laurent Fidès, la peur entrainée par certains de ces mots-choc conditionne à la longue certains réflexes et ces réflexes demeurent et finissent par se normaliser, même après l’atténuation ou l’extinction du sentiment de peur qui les avait originellement inspirés. « On voit ici fonctionner un processus d’intimidation à double détente, écrit-il. Dans un premier temps, c’est la peur qui contraint au silence, puis la règle du silence acquiert sa propre autorité et passe pour être normale. On ne s’exprimera plus sur certains sujets non pas à cause de menaces potentielles, mais par conviction que ces sujets n’ont pas à être abordés sous un angle critique et que ceux qui s’aventurent dans cette voie sont des individus malintentionnés et peu fréquentables. »6
Les mots ne sont pas innocents et ils le sont d’autant moins dans une communication qui associe à chacun d’eux une connotation positive ou négative en fonction de leur degré de conformité à l’idéologie dominante. Pour prendre un exemple exotique (ce qui, comme on l’a bien compris de Montesquieu à Bourdieu, est un excellent moyen de se « décadrer » pour mieux jeter un regard critique sur notre propre société), je citerais celui de la propagande nord-coréenne, fort différente de la nôtre et certainement moins subtile, mais chez laquelle on peut retrouver des procédés de manipulation de la langue étonnamment proches de ceux qui sont à l’œuvre sous nos latitudes. Comme observateur de la société nord-coréenne, Philippe Grangereau remarque : « A tout ce qui compte, est automatiquement attaché un jugement de valeur ; ce qui bien entendu réduit d’autant le champ d’expression de la pensée. Un esprit sain voudrait-il se rebeller qu’il ne trouverait qu’avec difficulté les mots pour s’exprimer. »7 Les mots ne sont pas que de simples véhicules du sens : dans bien des cas le sens, sa réalité même, est conditionnée par l’existence du mot.
La novlangue ne fonctionne en effet pas seulement sur la base d’un « grand remplacement linguistique » (la substitution de certains mots par d’autres dans l’intérêt de l’idéologie dominante) mais aussi par la disparition pure et simple de certains mots. Sans vouloir rouvrir la vieille querelle du nominalisme, le fait est que la plupart des linguistes s’accordent à penser que chez l’être humain, les concepts qui cessent d’être nommés cessent, à terme, d’exister comme concepts. Je ne parle pas bien sûr des objets du monde sensible, qui peuvent continuer d’avoir une existence en soi même si nous ne parlons plus d’eux, mais des idées, de ce qui relève de l’abstraction. La richesse ou la pauvreté de telle ou telle langue relativement à tel ou tel concept en dit en général beaucoup sur la mentalité d’un peuple. Rappelons-nous, par exemple, le nombre de termes désignant des formes et des nuances différentes de l’amour chez les anciens Grecs. Michel Maffesoli disait qu’ « une idéologie s’achève quand elle n’a plus les mots pour décrire le réel » et « quand un mot ne désigne plus rien de probant, il devient incantatoire »8. C’est particulièrement vrai pour des mots comme liberté dont Rousseau nous disait que s’il était trop prononcé, trop invoqué, trop affiché dans une cité, c’est qu’il y avait tout lieu de penser que cette cité vivait sous un régime de tyrannie. Cette leçon ne pourrait-elle pas être appliquée à la France actuelle, dont les politiques et les médias n’ont que les mots de démocratie et de vivre-ensemble à la bouche ? L’omniprésence de ces mots incantatoires dans la novlange semble en effet inversement proportionnelle à leur réalité au quotidien.
Dernière édition par Plaristes Evariste le Mar 14 Mar - 16:23, édité 1 fois
Plaristes Evariste- Vénérable
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Date d'inscription : 04/06/2020
Re: Leçons à Volog.
Plus jeune, j’ai beaucoup fréquenté les milieux militants de la gauche radicale, notamment certains milieux anarchistes. Il existe encore, dans ma région, des groupes anarchistes qui communiquent au travers de journaux muraux collés sur les murs des villes, mode de faire qui paraît un peu anachronique mais qui a le mérite de ramener le débat politique au niveau de la rue et de faire un certain bras d’honneur à la modernité et à ses dérives technologiques. Malheureusement, la forme du journal mural, avec ses gros blocs de textes en petits caractères, retient très peu l’attention des passants, contrairement aux affiches illustrées ou aux slogans. Je fais partie de la minorité des quidams curieux à qui il arrive de s’arrêter cinq minutes face à un mur pour lire un de ces journaux – ce que les Chinois, qui en avaient fait un vecteur des idées révolutionnaires, appelaient un dazibao – mais je me rends bien compte que nous sommes très peu nombreux à faire cet effort de lecture et d’attention. Je suis souvent en désaccord avec le message de ces affiches mais je dois reconnaître qu’on y lit parfois des textes théoriques intelligents et qui procèdent d’une vraie réflexion. Seulement, la plupart du temps, ils paraissent à titre anonyme ou sont signés du nom d’un obscur collectif ou d’un pseudonyme fantaisiste puisant dans la contre-culture, dans l’humour ou dans le panthéon révolutionnaire. Impossible, en fait, de savoir qui parle.
Le même problème se pose dans de nombreuses manifestations de l’extrême gauche. Les militants, anticipant la répression policière et pensant ainsi protéger leurs arrières, ont l’habitude de se camoufler le visage derrière des foulards, voire, lors des actions plus violentes, de se cagouler. J’ai fréquenté à plusieurs reprises les groupes d’émeutiers qu’on appelle les black blocks et qui mettent un point d’honneur à se masquer pour éviter les poursuites. Ils ne jurent, comme leur inspirateur Bakounine, que par la « propagande par les faits », théorie qui fonde le terrorisme anarchiste et qui a été aussi revendiquée par certains groupes durant les années de plomb. Mais le fait est en qu’en matière de propagande l’effet produit est déplorable : au-delà de l’usage de la violence émeutière (qui est en soi problématique), les défilés de hooligans encagoulés ne génèrent pas sur le public un sentiment de sympathie ou d’adhésion mais au contraire de peur et de désapprobation. Ces jeunes gens sont fiers de « choquer le bourgeois », mais ce n’est pas que le bourgeois qui est choqué, c’est le peuple, c’est l’opinion publique dans sa quasi totalité. On ne séduit pas par la terreur.
La cagoule, outre la peur qu’elle inspire, pose un autre problème (qui nous ramène à mon exemple des journaux muraux), c’est celui de l’anonymat. Un cagoulard n’est personne, il n’est pas un individu identifiable, il est celui qui se fond dans la masse des manifestants ou des émeutiers, tout comme n’est personne le militant qui signe un texte au nom d’un quelconque groupuscule plus ou moins secret. Il est à noter d’ailleurs que les agitateurs de gauche radicale s’exagèrent beaucoup les risques qu’ils encourent, risques qui justifient selon eux de cacher leur visage et de ne jamais rien revendiquer en leur nom. Il est vrai qu’un casseur risquera d’être interpelé par la police, c’est dans l’ordre des choses (et il le sera non pas pour un motif directement politique mais pour déprédation de biens publics), mais il n’est pas vrai pour autant que l’agitation gauchiste menace à ce point l’Etat ou le grand capital que ceux-ci doivent en venir à procéder à des arrestations, à trainer les gens devant les tribunaux ou à prononcer la dissolution de telle ou telle organisation politique. Non, ça ce serait plutôt le sort réservé à l’agitation nationaliste, et vous le savez mieux que moi…20
La psychologie de ces militants est assez simple : ils justifient leur culte de l’anonymat par les dangers qu’ils croient courir, croyance erronée qui, sincère ou non, les conforte dans la posture morale des révolutionnaires qu’ils pensent être. En bref, ils se persuadent d’être des dissidents, ce qui leur permet à la fois de se croire dans un vrai rapport d’opposition au système (alors qu’ils ne sont jamais que l’extrême gauche du capital) et de continuer à sa cacher derrière des pseudonymes ou des cagoules. Il faut bien comprendre qu’au-delà de ces justifications bancales auxquelles les plus intelligents d’entre eux ne croient pas eux-mêmes, c’est tout un folklore de la clandestinité qui s’exerce dans ces franges de la gauche radicale, un folklore de maquisards, de résistants, qui rappelle des heures héroïques de l’histoire mais qui n’a pas grand chose à voir avec ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Et comme toujours lorsqu’un folklore est déconnecté du réel, il vire au fétichisme. Leurs glorieux ancêtres (ou plus exactement les ancêtres qu’ils s’attribuent indument) faisaient la guerre et la révolution ; eux jouent à la guerre et à la révolution.
Le même problème se pose dans de nombreuses manifestations de l’extrême gauche. Les militants, anticipant la répression policière et pensant ainsi protéger leurs arrières, ont l’habitude de se camoufler le visage derrière des foulards, voire, lors des actions plus violentes, de se cagouler. J’ai fréquenté à plusieurs reprises les groupes d’émeutiers qu’on appelle les black blocks et qui mettent un point d’honneur à se masquer pour éviter les poursuites. Ils ne jurent, comme leur inspirateur Bakounine, que par la « propagande par les faits », théorie qui fonde le terrorisme anarchiste et qui a été aussi revendiquée par certains groupes durant les années de plomb. Mais le fait est en qu’en matière de propagande l’effet produit est déplorable : au-delà de l’usage de la violence émeutière (qui est en soi problématique), les défilés de hooligans encagoulés ne génèrent pas sur le public un sentiment de sympathie ou d’adhésion mais au contraire de peur et de désapprobation. Ces jeunes gens sont fiers de « choquer le bourgeois », mais ce n’est pas que le bourgeois qui est choqué, c’est le peuple, c’est l’opinion publique dans sa quasi totalité. On ne séduit pas par la terreur.
La cagoule, outre la peur qu’elle inspire, pose un autre problème (qui nous ramène à mon exemple des journaux muraux), c’est celui de l’anonymat. Un cagoulard n’est personne, il n’est pas un individu identifiable, il est celui qui se fond dans la masse des manifestants ou des émeutiers, tout comme n’est personne le militant qui signe un texte au nom d’un quelconque groupuscule plus ou moins secret. Il est à noter d’ailleurs que les agitateurs de gauche radicale s’exagèrent beaucoup les risques qu’ils encourent, risques qui justifient selon eux de cacher leur visage et de ne jamais rien revendiquer en leur nom. Il est vrai qu’un casseur risquera d’être interpelé par la police, c’est dans l’ordre des choses (et il le sera non pas pour un motif directement politique mais pour déprédation de biens publics), mais il n’est pas vrai pour autant que l’agitation gauchiste menace à ce point l’Etat ou le grand capital que ceux-ci doivent en venir à procéder à des arrestations, à trainer les gens devant les tribunaux ou à prononcer la dissolution de telle ou telle organisation politique. Non, ça ce serait plutôt le sort réservé à l’agitation nationaliste, et vous le savez mieux que moi…20
La psychologie de ces militants est assez simple : ils justifient leur culte de l’anonymat par les dangers qu’ils croient courir, croyance erronée qui, sincère ou non, les conforte dans la posture morale des révolutionnaires qu’ils pensent être. En bref, ils se persuadent d’être des dissidents, ce qui leur permet à la fois de se croire dans un vrai rapport d’opposition au système (alors qu’ils ne sont jamais que l’extrême gauche du capital) et de continuer à sa cacher derrière des pseudonymes ou des cagoules. Il faut bien comprendre qu’au-delà de ces justifications bancales auxquelles les plus intelligents d’entre eux ne croient pas eux-mêmes, c’est tout un folklore de la clandestinité qui s’exerce dans ces franges de la gauche radicale, un folklore de maquisards, de résistants, qui rappelle des heures héroïques de l’histoire mais qui n’a pas grand chose à voir avec ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Et comme toujours lorsqu’un folklore est déconnecté du réel, il vire au fétichisme. Leurs glorieux ancêtres (ou plus exactement les ancêtres qu’ils s’attribuent indument) faisaient la guerre et la révolution ; eux jouent à la guerre et à la révolution.
Plaristes Evariste- Vénérable
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Date d'inscription : 04/06/2020
Re: Leçons à Volog.
Il importe, dans les combats qui sont les vôtres, de savoir hiérarchiser les priorités ou, comme le disait Mao Zedong, de savoir distinguer les contradictions principales des contradictions secondaires. Soyez pragmatiques, ne vous trompez pas d’ennemi et ne perdez pas votre temps à répondre à des provocations dont le seul objectif est de vous détourner de votre tâche. J’ai vu sur internet qu’une de vos manifestations à Marseille avait récemment été troublée par un de ces groupuscules qui s’auto-désignent comme « antifascistes ». Le journaliste indépendant Vincent Lapierre, qui a filmé l’événement, a bien su montrer, en baladant sa caméra dans le quartier, que les gens de l’Action Française avaient conservé leur calme et n’avaient eu aucune peine à lui exposer leurs arguments, quand leurs opposants s’étaient contentés de beugler des slogans et de lancer des projectiles. Leur agressivité se présentait comme un signe de faiblesse, en tout cas de faiblesse argumentative. S’ils étaient sûrs de leurs convictions, ils ne se comporteraient pas de cette manière. Ces agitateurs cherchaient vraisemblablement l’affrontement et vous auriez eu tort de leur donner ce qu’ils désiraient. Vous n’aviez pas affaire à l’ennemi, vous n’aviez pas affaire au pouvoir mais seulement à une poignée de marginaux réclamant désespérément un peu d’attention de votre part. Vous n’avez pas à leur donner de l’attention, vous n’avez pas le temps pour ça et, comme le dit le proverbe persan, l’aigle ne chasse pas les mouches.
Les « antifascistes » tentent de constituer une contre-culture, qu’ils associent, à tort ou à raison, à une certaine forme d’extrême gauche, et ils aimeraient vous considérer comme une contre-culture opposée à la leur afin de se trouver un adversaire identifiable et une raison d’exister comme groupe belliqueux. Leur logique, tout à fait artificielle et déconnectée des problèmes réels du quotidien, est celle d’une guerre des clans. Il faut refuser cette guerre-là, parce qu’elle est régie par la loi du talion et qu’elle mène à une escalade sans fin, et il faut la refuser surtout parce que vous ne vous êtes pas donnés pour objectif de jouer à ça mais d’intervenir sur la société. Si vous êtes attaqués au coin d’une rue, bien sûr, vous pourrez difficilement ignorer vos assaillants et faire comme s’ils n’existaient pas, vous seriez bien obligés de vous défendre et vous serez légitimés à le faire. Mais ces altercations, vous ne devez pas les souhaiter, vous ne devez pas chercher à les provoquer et vous devez même tout faire pour les éviter. Lorsqu’un marmot vous tire par la manche avec insistance pour vous emmener je ne sais où, là où ne vous voulez pas aller, il vaut mieux l’ignorer, c’est le meilleur moyen de le renvoyer, de guerre lasse, à son bac à sable.
Vous m’objecterez peut-être ce que disait Julien Freund, à savoir qu’on ne choisit pas l’ennemi lorsque celui-ci nous désigne comme tel, qu’on devient son ennemi malgré nous s’il nous a choisi pour jouer ce rôle. Je vous répondrais que ça dépend beaucoup du rapport de force. Si l’Etat décide de vous dissoudre comme ligue factieuse, il vous désigne par là même comme ennemi et vous force à accepter ce rapport d’inimitié, à vous déclarer vous-mêmes comme ennemis de l’Etat car si vous ne le faites pas, vous vous contentez de subir sa répression sans pouvoir réagir. Il en va de même pour tout pouvoir coercitif qui vous agresserait, qu’il s’agisse d’un pouvoir public (comme l’Etat) ou privé (comme certaines émanations du capital). En ce sens-là Julien Freund a raison. Mais il n’en va pas de même pour ces groupuscules qui vous provoquent : le fait que vous répondiez ou non à leurs provocations, que vous acceptiez le défi qu’ils vous tendent, ne changera rien ni à votre existence en tant que groupe ni à votre action militante (si ce n’est que cela vous fera perdre un temps précieux et détournera votre attention des affaires sérieuses), aussi non seulement rien ne vous oblige à accepter ce rapport d’inimitié qu’ils tentent de vous imposer, mais en plus tout vous incite à le refuser et à passer outre.
Rappelez-vous la boutade de Mastroianni dans le film Une Journée particulière d’Ettore Scola : « Ce n’est pas le locataire du sixième qui est antifasciste, c’est le fascisme qui est anti-locataire du sixième ». Il en va de même pour vous : vous avez en face de vous (ou plutôt dans les marges) des gens qui se disent vos ennemis, mais le fait est que ce sont eux qui sont anti-vous et non pas vous qui êtes anti-eux. Dans un rapport de forces tel que celui qui vous oppose à ces groupuscules (un rapport de force non coercitif), les choses n’ont souvent que l’importance qu’on leur donne. Je ne nie pas l’existence de ces groupuscules, pas plus que je ne nie la réalité de la haine qu’ils vous vouent, mais ce n’est pas parce qu’une chose est réelle qu’elle est importante, on peut tout à fait – et c’est leur cas – être à la fois réel et insignifiant. Autrement dit, vous les empêchez peut-être de dormir la nuit mais l’inverse n’est pas vrai car vous avez bien d’autres choses à penser (et à faire je suppose !) de vos nuits. Le fait est qu’ils n’existent pas sans vous mais que vous existez très bien sans eux.
Les « antifascistes » tentent de constituer une contre-culture, qu’ils associent, à tort ou à raison, à une certaine forme d’extrême gauche, et ils aimeraient vous considérer comme une contre-culture opposée à la leur afin de se trouver un adversaire identifiable et une raison d’exister comme groupe belliqueux. Leur logique, tout à fait artificielle et déconnectée des problèmes réels du quotidien, est celle d’une guerre des clans. Il faut refuser cette guerre-là, parce qu’elle est régie par la loi du talion et qu’elle mène à une escalade sans fin, et il faut la refuser surtout parce que vous ne vous êtes pas donnés pour objectif de jouer à ça mais d’intervenir sur la société. Si vous êtes attaqués au coin d’une rue, bien sûr, vous pourrez difficilement ignorer vos assaillants et faire comme s’ils n’existaient pas, vous seriez bien obligés de vous défendre et vous serez légitimés à le faire. Mais ces altercations, vous ne devez pas les souhaiter, vous ne devez pas chercher à les provoquer et vous devez même tout faire pour les éviter. Lorsqu’un marmot vous tire par la manche avec insistance pour vous emmener je ne sais où, là où ne vous voulez pas aller, il vaut mieux l’ignorer, c’est le meilleur moyen de le renvoyer, de guerre lasse, à son bac à sable.
Vous m’objecterez peut-être ce que disait Julien Freund, à savoir qu’on ne choisit pas l’ennemi lorsque celui-ci nous désigne comme tel, qu’on devient son ennemi malgré nous s’il nous a choisi pour jouer ce rôle. Je vous répondrais que ça dépend beaucoup du rapport de force. Si l’Etat décide de vous dissoudre comme ligue factieuse, il vous désigne par là même comme ennemi et vous force à accepter ce rapport d’inimitié, à vous déclarer vous-mêmes comme ennemis de l’Etat car si vous ne le faites pas, vous vous contentez de subir sa répression sans pouvoir réagir. Il en va de même pour tout pouvoir coercitif qui vous agresserait, qu’il s’agisse d’un pouvoir public (comme l’Etat) ou privé (comme certaines émanations du capital). En ce sens-là Julien Freund a raison. Mais il n’en va pas de même pour ces groupuscules qui vous provoquent : le fait que vous répondiez ou non à leurs provocations, que vous acceptiez le défi qu’ils vous tendent, ne changera rien ni à votre existence en tant que groupe ni à votre action militante (si ce n’est que cela vous fera perdre un temps précieux et détournera votre attention des affaires sérieuses), aussi non seulement rien ne vous oblige à accepter ce rapport d’inimitié qu’ils tentent de vous imposer, mais en plus tout vous incite à le refuser et à passer outre.
Rappelez-vous la boutade de Mastroianni dans le film Une Journée particulière d’Ettore Scola : « Ce n’est pas le locataire du sixième qui est antifasciste, c’est le fascisme qui est anti-locataire du sixième ». Il en va de même pour vous : vous avez en face de vous (ou plutôt dans les marges) des gens qui se disent vos ennemis, mais le fait est que ce sont eux qui sont anti-vous et non pas vous qui êtes anti-eux. Dans un rapport de forces tel que celui qui vous oppose à ces groupuscules (un rapport de force non coercitif), les choses n’ont souvent que l’importance qu’on leur donne. Je ne nie pas l’existence de ces groupuscules, pas plus que je ne nie la réalité de la haine qu’ils vous vouent, mais ce n’est pas parce qu’une chose est réelle qu’elle est importante, on peut tout à fait – et c’est leur cas – être à la fois réel et insignifiant. Autrement dit, vous les empêchez peut-être de dormir la nuit mais l’inverse n’est pas vrai car vous avez bien d’autres choses à penser (et à faire je suppose !) de vos nuits. Le fait est qu’ils n’existent pas sans vous mais que vous existez très bien sans eux.
Plaristes Evariste- Vénérable
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Re: Leçons à Volog.
Le rapport de forces actuel, on l’a dit, ne vous est pas favorable dans la mesure où vous n’êtes pas au pouvoir et où vous avez le pouvoir contre vous. Comme la plupart de vos concitoyens, vous êtes donc, à l’égard des mesures qui vous sont imposées par les puissants, tenus de choisir entre le suivisme ou la réaction. Comme opposants, vous optez la plupart du temps pour la seconde option, mais en faisant cela, vous ne faites que choisir entre deux manières de s’adapter au discours dominant (répondre par oui ou par non à une question imposée et souvent biaisée), attitude qui ne révèle pas une très grande liberté de ton ni d’action. Vous connaissez tous l’histoire de ces oiseaux de basse-cour à qui on demande s’ils préfèrent être rôtis ou bouillis : un des oiseaux répond « mais nous ne voulons pas être mangés ! », ce à quoi l’homme lui réplique « ce n’est pas la question que nous vous avons posée ». Il en va ainsi lorsqu’on vous propose, lors d’élections, de choisir entre la gauche et la droite, ou lorsqu’on soumet au vote « démocratique » une proposition qui, dans son objet comme dans sa formulation, n’ouvre pas des possibles mais les ferme au contraire, orientant le débat dans le sens voulu par le système.
On peut bien se moquer des citoyens qui suivent aveuglement les directives de l’Etat et les traiter de moutons, il n’empêche que ceux qui s’y opposent de façon tout aussi systématique et, dirais-je, pavlovienne – en Suisse on les appelle les neinsager – ne valent guère mieux. Suivre ou réagir ne sont que deux manières de s’adapter à un cadre imposé, qui ne sortent jamais d’un certain conservatisme niais, à rebours des choix que devrait faire un véritable dissident : le choix de l’initiative, de l’innovation, de l’imagination. Ce sont ces choix qui permettent, même avec le pouvoir contre soi, de saisir la démocratie à rebrousse-poil et d’influer sur l’agenda politique plutôt que de s’y conformer. Nietzsche n’avait pas tort de dire que l’homme réactif est toujours l’homme du ressentiment, c’est-à-dire tout le contraire de l’homme libre. L’homme qui réagit (tout comme l’homme qui suit, dont il n’est que le miroir inversé) est l’homme de passion, au sens étymologique du terme : l’homme passif, l’homme du pathos (la douleur), de la pathologie, l’antithèse de l’homme d’action. Comme en grammaire, l’actif s’oppose au passif, ce qui fait s’oppose à ce qui subit, ce qui détermine s’oppose à ce qui est déterminé. Êtes-vous de ceux qui subissent ou de ceux qui entreprennent ? Êtes-vous des roseaux ou des chênes ?23 Êtes-vous de ceux qui répondent aux questions imposées ou de ceux qui préfèrent poser les bonnes questions ? Vous pouvez, comme Epictète, vous conditionner à vouloir ce qui arrive, mais vous pouvez aussi, comme Napoléon, faire en sorte qu’arrive ce que vous voulez. Le politique, vous vous en doutez, a plus à voir avec Napoléon qu’avec Epictète.
Ouvrir le dialogue avec tout le monde
J’ai utilisé le terme de populisme, qui n’est pas un gros mot et qui n’est pas tant un corpus d’idées qu’une manière de communiquer. Le populisme est au cœur de notre sujet puisque nous devisons ce soir de communication. Cette dernière peut se faire selon différentes interactions sociales : vous pouvez vous retrouver, comme c’est mon cas ce soir, à monologuer devant un public d’auditeurs silencieux, mais la plupart du temps, au quotidien, vous êtes amenés à exposer vos idées dans le cadre de conversations, de rapports inter-individuels horizontaux. Lors de ces conversations, vous vous adaptez tout naturellement à votre interlocuteur, à ce que vous savez de ses convictions, à son niveau de compréhension, à son caractère, à la nature de la relation que vous entretenez avec lui, de façon à pouvoir, sans risquer de le braquer ni de le perdre en route, faire passer votre message. En adaptant la forme sans transiger sur le fond, vous conjuguez la rigueur des principes et la souplesse propre à la communication. Le populisme ne fonctionne pas autrement.
Il est essentiel de discuter avec tout le monde, de ne pas rester cloisonné dans un entre-soi stérile. L’exemple de Socrate allant converser avec n’importe qui sur l’agora athénienne devrait nous parler, tout comme sa méthode, qui consistait moins à professer qu’à poser des questions à ses interlocuteurs et à les laisser, par le jeu de la dialectique, arriver eux-mêmes à leurs propres conclusions. Malheureusement une tendance spontanée au confort psychologique nous pousse souvent à débattre de politique avec des interlocuteurs déjà conquis et à passer nos idées sous silence face à des gens extérieurs à nos milieux. C’est une grave erreur car le rôle objectif de la conversation politique n’est pas de créer un sentiment d’autosatisfaction chez des interlocuteurs partageant les mêmes idées (même si ce type d’échanges peut favoriser les rapports de camaraderie) mais de convaincre ou du moins de faire réfléchir ceux qui ne sont pas encore acquis à vos idées. Dès lors, en dehors des individus agressifs ou intolérants qui refusent explicitement de débattre avec vous, vous pouvez considérer tout interlocuteur comme légitime : à vous d’être aimable, respectueux, et de faire preuve d’entregent pour susciter l’attention des gens de tous milieux avec qui vous êtes amenés à dialoguer. Un penseur comme Etienne Chouard me semble à cet égard être un exemple à suivre : il s’est toujours moqué des lignes de démarcation partisanes, des « cordons sanitaires », de savoir qui était fréquentable ou qui ne l’était pas, il a toujours fait l’effort d’ouvrir le dialogue avec tout le monde et n’a jamais refusé une tribune qu’on lui proposait, d’où qu’elle vienne. Certains lui ont évidemment beaucoup reproché cette ouverture « socratique », compromettante à leurs yeux, et dans une certaine mesure on le lui a fait payer, mais au final tout laisse à penser qu’à agir de la sorte, il a beaucoup plus gagné que perdu, ayant permis à ses idées de progresser dans l’opinion et de se diffuser largement.
Pour qu’un débat honnête et lieu, il faut se contraindre à une certaine rigueur intellectuelle et se comporter à l’égard de votre interlocuteur comme vous voudriez qu’il se comporte avec vous. Le philosophe Jean-Claude Michéa résume ainsi cette éthique du débat : « Ne jamais juger les idées d’un auteur sur les intentions diaboliques ou “nauséabondes” qu’on lui prête mais uniquement sur les thèses qu’il défend explicitement24 ; respecter en toute circonstance le principe de contradiction (dont le système “deux poids deux mesures” – disait Orwell – est la forme de négation idéologique la plus courante) ; reconnaître enfin l’existence des faits chaque fois qu’ils se manifestent sous nos yeux ou qu’ils ont été établis au terme d’une enquête aussi rationnelle et objective que possible. »25
Par rapport à la génération de nos parents, la jeunesse actuelle paraît plus dépolitisée (encore que ce soit en train de changer) mais on aurait tort de ne voir dans ce phénomène qu’une acculturation ou un des nombreux ravages de l’individualisme libéral. Les jeunes de la génération de nos parents étaient peut-être plus politisés, ils avaient peut-être un vernis de culture idéologique un peu plus épais que ceux d’aujourd’hui, mais ils étaient aussi plus obtus, plus sectaires, plus fermés au dialogue, et parfois même plus fanatisés par les idées qu’ils pensaient être les leurs (l’histoire du gauchisme post-68 en témoigne). Moins engagés, nos contemporains sont de ce fait moins alourdis de préjugés politiques, ils sont donc moins fermés a priori à un discours de l’altérité, voire de l’altérité radicale. Il règne de nos jours une sorte de pensée molle qui fait que beaucoup de nos semblables pensent par défaut, par imitation, mais sans que leurs idées soient forcément très enracinées dans leur esprit, faute d’une vraie conviction. La pensée molle a l’avantage d’être ouverte à tous les vents, d’être mobile, de pouvoir muter. Moins conditionnée par les affects que peut l’être la pensée politisée, elle est dès lors plus souple et plus facile à inspirer, à faire évoluer, à modeler. Ne pensant aux choses qu’en surface, les hommes et les femmes sujets à la pensée molle ne s’accrochent pas désespérément à leurs idées éphémères, ils ne se crispent pas et ils ont à l’égard des autres idées une attitude que j’appellerais de neutralité bienveillante. Neutralité car cette absence de convictions procède d’une certaine indifférence, bienveillance car les gens n’ont aucune raison de vous prendre en grippe tant que vous n’avez pas été désagréable avec eux.
Du bon usage des réseaux sociaux
Nous ne sommes bien sûr plus au temps de Socrate : les débats politiques se passent un peu moins sur l’agora et un peu plus sur internet. Les réseaux sociaux ont pour une grande part remplacé les interactions sociales de la place du village. Les règles de communication sont néanmoins à peu près les mêmes, au sens où il convient aussi, lorsque vous êtes devant votre ordinateur, d’argumenter honnêtement, de vous adapter à vos interlocuteurs et de ménager leur susceptibilité. Il existe toutefois quelques différences, liées au support et au caractère de médiation de ces réseaux sociaux. Pour illustrer ce point je vais faire une analogie. Lorsque vous avez suivi à la télévision le débat du deuxième tour des élections présidentielles et que vous avez écouté les arguments de Macron, avez-vous pensé que l’objectif du futur président était, en débattant comme il l’a fait, de convaincre sa rivale du bien fondé de son programme ? Avez-vous pensé que Macron aurait pu espérer ne serait-ce qu’une seconde qu’à l’issue du débat, Marine Le Pen lui serre chaleureusement la main et s’exclame : « C’est vous qui aviez raison depuis le début, vous m’avez ouvert les yeux ! » ? Une telle hypothèse paraitrait ridicule. Nous savons tous qu’en argumentant comme ils l’ont fait, les deux candidats ne cherchaient pas à se persuader l’un l’autre mais à convaincre ceux qui les regardaient, c’est-à-dire les Français. Ce n’est évidemment pas l’opinion de Marine Le Pen qui comptait aux yeux de Macron (et inversement) mais l’opinion des électeurs. Chacun d’entre vous, je pense, conviendra de ces évidences.
Eh bien si vous admettez ce mode de communication lors d’un débat télévisé, pourquoi ne l’admettez-vous pas sur les réseaux sociaux ? C’est pourtant, toutes proportions gardées, le même mécanisme qui est à l’œuvre. Mettons-nous en situation : un adversaire politique vous prend à partie sur les réseaux sociaux, il vous attaque, vous pousse à vous défendre ou à contre-attaquer. Autant vous révéler tout de suite la fin de l’histoire : vous aurez beau argumenter comme un beau diable et mobiliser des trésors d’éloquence, il y a très peu de chances que votre adversaire se range à vos arguments et vous donne raison in fine. Et cela pour plusieurs raisons : parce qu’il est comme vous un militant convaincu de ses idées (il ne peut donc faire preuve de cette neutralité bienveillante qui est le propre de la pensée molle) ; parce qu’il se trouve avec vous dans un rapport conflictuel et polémologique qui lui interdit de ne rien céder, toute concession risquant d’apparaître comme un désaveu de ses propres idées ; parce que si, dans son for intérieur, il finissait par vous donner raison à la faveur d’une remise en question (c’est rare mais cela peut arriver), il conserverait ça pour lui et se garderait bien de l’avouer et de vous concéder ce plaisir, qui équivaudrait à votre triomphe et à son échec. On peut attendre des gens qu’ils évoluent dans leur conscience mais on ne peut pas attendre d’eux qu’ils acceptent de perdre la face – et cette typologie de l’adversaire, je le rappelle, est aussi la vôtre.
Cela pose alors une autre question : pourquoi avons-nous si peur, dans ces circonstances, de perdre la face ? Ne nous sommes-nous donc jamais trouvé en tête à tête avec quelqu’un qui, à force de raison, est parvenu à nous convaincre que nous avions tort et n’avons-nous pas alors, dans ce cas de figure, reconnu sans peine, et même avec une certaine reconnaissance, que c’est lui qui était dans le juste et nous qui nous trompions ? Pourquoi ne sommes-nous pas capables, sur les réseaux sociaux, de faire preuve de la même humilité et de la même honnêteté intellectuelle ? Pour une raison très simple : une conversation sur les réseaux sociaux n’est pas un tête-à-tête, c’est un combat de boxe sur un ring cerné par une foule immense. Macron n’a pas préparé ses arguments en vue d’un entretien avec Marine Le Pen dans le secret d’un boudoir, et vous, vous ne vous adressez pas à une personne qui vous attaque, mais à cent ou mille personnes qui vous lisent et vous jugent.
Vous avez compris où je veux en venir : lorsque vous débattez sur les réseaux sociaux, ce n’est pas votre interlocuteur direct que vous cherchez à convaincre mais la masse silencieuse de ceux qui vous lisent et qui, peut-être, seront tentés de choisir leur camp. Cette masse silencieuse, c’est en grande partie celle – j’y reviens encore une fois – de la neutralité bienveillante. Vos lecteurs sont plus libres que votre interlocuteur car eux, n’ayant peut-être pas de conviction arrêtée et n’ayant pas participé au débat, n’auront aucune crainte de perdre la face le jour où ils s’exprimeront à leur tour ou choisiront leur camp. Personne ne pourra les accuser d’être des parjures puisqu’ils n’avaient rien à trahir. Ce sont donc eux qu’il s’agit de persuader, de séduire, à qui il s’agit de plaire, qu’il faut parvenir à mettre de votre côté.
Pour cela, la première règle est bien sûr de développer une argumentation claire et convaincante – de montrer sans ambigüité possible que c’est vous qui avez raison – mais cela ne suffit pas. Les interactions sociales ne sont pas faites que de raison pure, elles sont faites aussi d’affects, d’appréhensions plus spontanées, d’affinités diverses. Pour séduire ceux qui vous lisent il faut savoir y mettre les formes, vous rendre sympathiques à leurs yeux. Il ne faut pas hésiter pour cela à recourir à l’humour, à l’ironie (pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un moyen de noyer le poisson), qui sont des attitudes qui, tout en mettant les rieurs de votre côté, révèlent de votre part une distance, une maîtrise, qu’on associera volontiers à la maturité de vos idées. Car plus encore que l’humour, c’est l’image de calme et de solidité qui joueront en votre faveur. Vous avez sûrement tous été confrontés un jour ou l’autre sur les réseaux sociaux à un adversaire nerveux ou acariâtre qui finissait, faute de parvenir à vous déstabiliser, par s’étrangler de rage devant son clavier, multipliant alors les mots injurieux, les lettres majuscules et les points d’exclamation outrés. Si, en face, vous avez su rester calme, ne pas répondre aux insultes (si ce n’est par une légère boutade) et continuer à développer vos raisonnements, il y a fort à parier qu’aux yeux des lecteurs silencieux, c’est vous qui avez remporté le débat. Habituez-vous à fonctionner de cette manière, à rester serein, à sourire lorsque votre adversaire perd ses moyens, à ne jamais vous départir d’une certaine force tranquille, et vous verrez immanquablement augmenter le nombre de vos partisans.
Pour que ce type de communication soit efficace, il faut évidemment, comme dans la « vie réelle », qu’elle ait lieu dans un cadre ouvert et non dans l’entre-soi d’un ghetto. Alors qu’internet nous proposait à sa création une ouverture sans limite, les réseaux sociaux ont malheureusement souvent évolué dans le sens d’une certaine endogamie idéologique. C’est une tendance assez naturelle à l’homme qui, lorsqu’il a le choix, préfère se grouper sur un mode affinitaire que sur un mode arbitraire, c’est d’ailleurs le principe même de l’amitié et d’une grande part de la sociabilité ordinaire. Ce n’est néanmoins pas un principe à suivre si l’on veut parler au grand nombre et persuader de nouvelles personnes des bienfaits de nos idées. Je vous conseille, dans les paramètres de votre page Facebook ou Twitter, de garder un réseau ouvert, c’est-à-dire de choisir l’option qui permettra à tous les usagers, y compris à ceux qui ne figurent pas dans votre liste de contacts, de pouvoir vous lire. Pourquoi limiter volontairement votre audience si vous pensez avoir raison et si vous considérez qu’il serait profitable que vos idées se diffusent ? Garder un compte ouvert permet de faire un sort à cette endogamie idéologique, qui n’est pas une fatalité. Nous ne devons pas, en nous fermant à un certain public, restreindre notre liberté d’expression comme nous ne devons pas censurer celle des autres (sauf cas de « trollage » avéré), sans quoi nous tombons dans ce que Jean Bricmont appelle « le principe Hitler-Staline de la liberté d’expression »26 qui consiste à n’accorder cette liberté qu’à ceux qui pensent comme nous. Rappelez-vous que la liberté d’expression est à défendre pour au moins trois raisons : parce qu’elle est un bien en soi, parce qu’elle vous est profitable en tant que vous êtes des opposants au système en place, et parce que, mieux formés intellectuellement que la plupart de vos adversaires, cette liberté est votre arme par excellence quand la censure est par excellence l’arme de vos ennemis.
On peut bien se moquer des citoyens qui suivent aveuglement les directives de l’Etat et les traiter de moutons, il n’empêche que ceux qui s’y opposent de façon tout aussi systématique et, dirais-je, pavlovienne – en Suisse on les appelle les neinsager – ne valent guère mieux. Suivre ou réagir ne sont que deux manières de s’adapter à un cadre imposé, qui ne sortent jamais d’un certain conservatisme niais, à rebours des choix que devrait faire un véritable dissident : le choix de l’initiative, de l’innovation, de l’imagination. Ce sont ces choix qui permettent, même avec le pouvoir contre soi, de saisir la démocratie à rebrousse-poil et d’influer sur l’agenda politique plutôt que de s’y conformer. Nietzsche n’avait pas tort de dire que l’homme réactif est toujours l’homme du ressentiment, c’est-à-dire tout le contraire de l’homme libre. L’homme qui réagit (tout comme l’homme qui suit, dont il n’est que le miroir inversé) est l’homme de passion, au sens étymologique du terme : l’homme passif, l’homme du pathos (la douleur), de la pathologie, l’antithèse de l’homme d’action. Comme en grammaire, l’actif s’oppose au passif, ce qui fait s’oppose à ce qui subit, ce qui détermine s’oppose à ce qui est déterminé. Êtes-vous de ceux qui subissent ou de ceux qui entreprennent ? Êtes-vous des roseaux ou des chênes ?23 Êtes-vous de ceux qui répondent aux questions imposées ou de ceux qui préfèrent poser les bonnes questions ? Vous pouvez, comme Epictète, vous conditionner à vouloir ce qui arrive, mais vous pouvez aussi, comme Napoléon, faire en sorte qu’arrive ce que vous voulez. Le politique, vous vous en doutez, a plus à voir avec Napoléon qu’avec Epictète.
Ouvrir le dialogue avec tout le monde
J’ai utilisé le terme de populisme, qui n’est pas un gros mot et qui n’est pas tant un corpus d’idées qu’une manière de communiquer. Le populisme est au cœur de notre sujet puisque nous devisons ce soir de communication. Cette dernière peut se faire selon différentes interactions sociales : vous pouvez vous retrouver, comme c’est mon cas ce soir, à monologuer devant un public d’auditeurs silencieux, mais la plupart du temps, au quotidien, vous êtes amenés à exposer vos idées dans le cadre de conversations, de rapports inter-individuels horizontaux. Lors de ces conversations, vous vous adaptez tout naturellement à votre interlocuteur, à ce que vous savez de ses convictions, à son niveau de compréhension, à son caractère, à la nature de la relation que vous entretenez avec lui, de façon à pouvoir, sans risquer de le braquer ni de le perdre en route, faire passer votre message. En adaptant la forme sans transiger sur le fond, vous conjuguez la rigueur des principes et la souplesse propre à la communication. Le populisme ne fonctionne pas autrement.
Il est essentiel de discuter avec tout le monde, de ne pas rester cloisonné dans un entre-soi stérile. L’exemple de Socrate allant converser avec n’importe qui sur l’agora athénienne devrait nous parler, tout comme sa méthode, qui consistait moins à professer qu’à poser des questions à ses interlocuteurs et à les laisser, par le jeu de la dialectique, arriver eux-mêmes à leurs propres conclusions. Malheureusement une tendance spontanée au confort psychologique nous pousse souvent à débattre de politique avec des interlocuteurs déjà conquis et à passer nos idées sous silence face à des gens extérieurs à nos milieux. C’est une grave erreur car le rôle objectif de la conversation politique n’est pas de créer un sentiment d’autosatisfaction chez des interlocuteurs partageant les mêmes idées (même si ce type d’échanges peut favoriser les rapports de camaraderie) mais de convaincre ou du moins de faire réfléchir ceux qui ne sont pas encore acquis à vos idées. Dès lors, en dehors des individus agressifs ou intolérants qui refusent explicitement de débattre avec vous, vous pouvez considérer tout interlocuteur comme légitime : à vous d’être aimable, respectueux, et de faire preuve d’entregent pour susciter l’attention des gens de tous milieux avec qui vous êtes amenés à dialoguer. Un penseur comme Etienne Chouard me semble à cet égard être un exemple à suivre : il s’est toujours moqué des lignes de démarcation partisanes, des « cordons sanitaires », de savoir qui était fréquentable ou qui ne l’était pas, il a toujours fait l’effort d’ouvrir le dialogue avec tout le monde et n’a jamais refusé une tribune qu’on lui proposait, d’où qu’elle vienne. Certains lui ont évidemment beaucoup reproché cette ouverture « socratique », compromettante à leurs yeux, et dans une certaine mesure on le lui a fait payer, mais au final tout laisse à penser qu’à agir de la sorte, il a beaucoup plus gagné que perdu, ayant permis à ses idées de progresser dans l’opinion et de se diffuser largement.
Pour qu’un débat honnête et lieu, il faut se contraindre à une certaine rigueur intellectuelle et se comporter à l’égard de votre interlocuteur comme vous voudriez qu’il se comporte avec vous. Le philosophe Jean-Claude Michéa résume ainsi cette éthique du débat : « Ne jamais juger les idées d’un auteur sur les intentions diaboliques ou “nauséabondes” qu’on lui prête mais uniquement sur les thèses qu’il défend explicitement24 ; respecter en toute circonstance le principe de contradiction (dont le système “deux poids deux mesures” – disait Orwell – est la forme de négation idéologique la plus courante) ; reconnaître enfin l’existence des faits chaque fois qu’ils se manifestent sous nos yeux ou qu’ils ont été établis au terme d’une enquête aussi rationnelle et objective que possible. »25
Par rapport à la génération de nos parents, la jeunesse actuelle paraît plus dépolitisée (encore que ce soit en train de changer) mais on aurait tort de ne voir dans ce phénomène qu’une acculturation ou un des nombreux ravages de l’individualisme libéral. Les jeunes de la génération de nos parents étaient peut-être plus politisés, ils avaient peut-être un vernis de culture idéologique un peu plus épais que ceux d’aujourd’hui, mais ils étaient aussi plus obtus, plus sectaires, plus fermés au dialogue, et parfois même plus fanatisés par les idées qu’ils pensaient être les leurs (l’histoire du gauchisme post-68 en témoigne). Moins engagés, nos contemporains sont de ce fait moins alourdis de préjugés politiques, ils sont donc moins fermés a priori à un discours de l’altérité, voire de l’altérité radicale. Il règne de nos jours une sorte de pensée molle qui fait que beaucoup de nos semblables pensent par défaut, par imitation, mais sans que leurs idées soient forcément très enracinées dans leur esprit, faute d’une vraie conviction. La pensée molle a l’avantage d’être ouverte à tous les vents, d’être mobile, de pouvoir muter. Moins conditionnée par les affects que peut l’être la pensée politisée, elle est dès lors plus souple et plus facile à inspirer, à faire évoluer, à modeler. Ne pensant aux choses qu’en surface, les hommes et les femmes sujets à la pensée molle ne s’accrochent pas désespérément à leurs idées éphémères, ils ne se crispent pas et ils ont à l’égard des autres idées une attitude que j’appellerais de neutralité bienveillante. Neutralité car cette absence de convictions procède d’une certaine indifférence, bienveillance car les gens n’ont aucune raison de vous prendre en grippe tant que vous n’avez pas été désagréable avec eux.
Du bon usage des réseaux sociaux
Nous ne sommes bien sûr plus au temps de Socrate : les débats politiques se passent un peu moins sur l’agora et un peu plus sur internet. Les réseaux sociaux ont pour une grande part remplacé les interactions sociales de la place du village. Les règles de communication sont néanmoins à peu près les mêmes, au sens où il convient aussi, lorsque vous êtes devant votre ordinateur, d’argumenter honnêtement, de vous adapter à vos interlocuteurs et de ménager leur susceptibilité. Il existe toutefois quelques différences, liées au support et au caractère de médiation de ces réseaux sociaux. Pour illustrer ce point je vais faire une analogie. Lorsque vous avez suivi à la télévision le débat du deuxième tour des élections présidentielles et que vous avez écouté les arguments de Macron, avez-vous pensé que l’objectif du futur président était, en débattant comme il l’a fait, de convaincre sa rivale du bien fondé de son programme ? Avez-vous pensé que Macron aurait pu espérer ne serait-ce qu’une seconde qu’à l’issue du débat, Marine Le Pen lui serre chaleureusement la main et s’exclame : « C’est vous qui aviez raison depuis le début, vous m’avez ouvert les yeux ! » ? Une telle hypothèse paraitrait ridicule. Nous savons tous qu’en argumentant comme ils l’ont fait, les deux candidats ne cherchaient pas à se persuader l’un l’autre mais à convaincre ceux qui les regardaient, c’est-à-dire les Français. Ce n’est évidemment pas l’opinion de Marine Le Pen qui comptait aux yeux de Macron (et inversement) mais l’opinion des électeurs. Chacun d’entre vous, je pense, conviendra de ces évidences.
Eh bien si vous admettez ce mode de communication lors d’un débat télévisé, pourquoi ne l’admettez-vous pas sur les réseaux sociaux ? C’est pourtant, toutes proportions gardées, le même mécanisme qui est à l’œuvre. Mettons-nous en situation : un adversaire politique vous prend à partie sur les réseaux sociaux, il vous attaque, vous pousse à vous défendre ou à contre-attaquer. Autant vous révéler tout de suite la fin de l’histoire : vous aurez beau argumenter comme un beau diable et mobiliser des trésors d’éloquence, il y a très peu de chances que votre adversaire se range à vos arguments et vous donne raison in fine. Et cela pour plusieurs raisons : parce qu’il est comme vous un militant convaincu de ses idées (il ne peut donc faire preuve de cette neutralité bienveillante qui est le propre de la pensée molle) ; parce qu’il se trouve avec vous dans un rapport conflictuel et polémologique qui lui interdit de ne rien céder, toute concession risquant d’apparaître comme un désaveu de ses propres idées ; parce que si, dans son for intérieur, il finissait par vous donner raison à la faveur d’une remise en question (c’est rare mais cela peut arriver), il conserverait ça pour lui et se garderait bien de l’avouer et de vous concéder ce plaisir, qui équivaudrait à votre triomphe et à son échec. On peut attendre des gens qu’ils évoluent dans leur conscience mais on ne peut pas attendre d’eux qu’ils acceptent de perdre la face – et cette typologie de l’adversaire, je le rappelle, est aussi la vôtre.
Cela pose alors une autre question : pourquoi avons-nous si peur, dans ces circonstances, de perdre la face ? Ne nous sommes-nous donc jamais trouvé en tête à tête avec quelqu’un qui, à force de raison, est parvenu à nous convaincre que nous avions tort et n’avons-nous pas alors, dans ce cas de figure, reconnu sans peine, et même avec une certaine reconnaissance, que c’est lui qui était dans le juste et nous qui nous trompions ? Pourquoi ne sommes-nous pas capables, sur les réseaux sociaux, de faire preuve de la même humilité et de la même honnêteté intellectuelle ? Pour une raison très simple : une conversation sur les réseaux sociaux n’est pas un tête-à-tête, c’est un combat de boxe sur un ring cerné par une foule immense. Macron n’a pas préparé ses arguments en vue d’un entretien avec Marine Le Pen dans le secret d’un boudoir, et vous, vous ne vous adressez pas à une personne qui vous attaque, mais à cent ou mille personnes qui vous lisent et vous jugent.
Vous avez compris où je veux en venir : lorsque vous débattez sur les réseaux sociaux, ce n’est pas votre interlocuteur direct que vous cherchez à convaincre mais la masse silencieuse de ceux qui vous lisent et qui, peut-être, seront tentés de choisir leur camp. Cette masse silencieuse, c’est en grande partie celle – j’y reviens encore une fois – de la neutralité bienveillante. Vos lecteurs sont plus libres que votre interlocuteur car eux, n’ayant peut-être pas de conviction arrêtée et n’ayant pas participé au débat, n’auront aucune crainte de perdre la face le jour où ils s’exprimeront à leur tour ou choisiront leur camp. Personne ne pourra les accuser d’être des parjures puisqu’ils n’avaient rien à trahir. Ce sont donc eux qu’il s’agit de persuader, de séduire, à qui il s’agit de plaire, qu’il faut parvenir à mettre de votre côté.
Pour cela, la première règle est bien sûr de développer une argumentation claire et convaincante – de montrer sans ambigüité possible que c’est vous qui avez raison – mais cela ne suffit pas. Les interactions sociales ne sont pas faites que de raison pure, elles sont faites aussi d’affects, d’appréhensions plus spontanées, d’affinités diverses. Pour séduire ceux qui vous lisent il faut savoir y mettre les formes, vous rendre sympathiques à leurs yeux. Il ne faut pas hésiter pour cela à recourir à l’humour, à l’ironie (pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un moyen de noyer le poisson), qui sont des attitudes qui, tout en mettant les rieurs de votre côté, révèlent de votre part une distance, une maîtrise, qu’on associera volontiers à la maturité de vos idées. Car plus encore que l’humour, c’est l’image de calme et de solidité qui joueront en votre faveur. Vous avez sûrement tous été confrontés un jour ou l’autre sur les réseaux sociaux à un adversaire nerveux ou acariâtre qui finissait, faute de parvenir à vous déstabiliser, par s’étrangler de rage devant son clavier, multipliant alors les mots injurieux, les lettres majuscules et les points d’exclamation outrés. Si, en face, vous avez su rester calme, ne pas répondre aux insultes (si ce n’est par une légère boutade) et continuer à développer vos raisonnements, il y a fort à parier qu’aux yeux des lecteurs silencieux, c’est vous qui avez remporté le débat. Habituez-vous à fonctionner de cette manière, à rester serein, à sourire lorsque votre adversaire perd ses moyens, à ne jamais vous départir d’une certaine force tranquille, et vous verrez immanquablement augmenter le nombre de vos partisans.
Pour que ce type de communication soit efficace, il faut évidemment, comme dans la « vie réelle », qu’elle ait lieu dans un cadre ouvert et non dans l’entre-soi d’un ghetto. Alors qu’internet nous proposait à sa création une ouverture sans limite, les réseaux sociaux ont malheureusement souvent évolué dans le sens d’une certaine endogamie idéologique. C’est une tendance assez naturelle à l’homme qui, lorsqu’il a le choix, préfère se grouper sur un mode affinitaire que sur un mode arbitraire, c’est d’ailleurs le principe même de l’amitié et d’une grande part de la sociabilité ordinaire. Ce n’est néanmoins pas un principe à suivre si l’on veut parler au grand nombre et persuader de nouvelles personnes des bienfaits de nos idées. Je vous conseille, dans les paramètres de votre page Facebook ou Twitter, de garder un réseau ouvert, c’est-à-dire de choisir l’option qui permettra à tous les usagers, y compris à ceux qui ne figurent pas dans votre liste de contacts, de pouvoir vous lire. Pourquoi limiter volontairement votre audience si vous pensez avoir raison et si vous considérez qu’il serait profitable que vos idées se diffusent ? Garder un compte ouvert permet de faire un sort à cette endogamie idéologique, qui n’est pas une fatalité. Nous ne devons pas, en nous fermant à un certain public, restreindre notre liberté d’expression comme nous ne devons pas censurer celle des autres (sauf cas de « trollage » avéré), sans quoi nous tombons dans ce que Jean Bricmont appelle « le principe Hitler-Staline de la liberté d’expression »26 qui consiste à n’accorder cette liberté qu’à ceux qui pensent comme nous. Rappelez-vous que la liberté d’expression est à défendre pour au moins trois raisons : parce qu’elle est un bien en soi, parce qu’elle vous est profitable en tant que vous êtes des opposants au système en place, et parce que, mieux formés intellectuellement que la plupart de vos adversaires, cette liberté est votre arme par excellence quand la censure est par excellence l’arme de vos ennemis.
Plaristes Evariste- Vénérable
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Date d'inscription : 04/06/2020
Re: Leçons à Volog.
Cette tension est renforcée par le fait que la base humaine de ces mouvements est souvent plus masculine que dans les partis établis, et on sait que, pour des raisons qui tiennent moins au genre qu’au sexe, les hommes sont toujours proportionnellement plus présents que les femmes aux extrêmes (pas au sens des extrêmes politiques mais des extrêmes psychologiques).
Ayant été actif dans des mouvements de ce type, j’ai souvent été amené à devoir doucher certains enthousiasmes, modérer certaines colères et écarter des profils trop instables et potentiellement dangereux. Les partis du système, qui recrutent parmi la bourgeoisie et parmi des classes de la population plutôt acquises au statu quo, n’ont pas ce problème et on imagine mal une affaire d’attentat liée à un cadre du PS ou des Républicains… Ce qui n’empêche pas ces partis de se livrer épisodiquement à des violences ou à des incivilités comme on l’a vu récemment avec la mise en cause d’élus d’En Marche dans diverses agressions (ratonnade d’un adversaire, morsure contre un chauffeur de taxi, etc.). Face à ce risque, il serait prudent d’être à la fois le plus ouvert possible aux gens ordinaires tout en restant plus sélectif à l’égard des éléments radicaux.
Ayant été actif dans des mouvements de ce type, j’ai souvent été amené à devoir doucher certains enthousiasmes, modérer certaines colères et écarter des profils trop instables et potentiellement dangereux. Les partis du système, qui recrutent parmi la bourgeoisie et parmi des classes de la population plutôt acquises au statu quo, n’ont pas ce problème et on imagine mal une affaire d’attentat liée à un cadre du PS ou des Républicains… Ce qui n’empêche pas ces partis de se livrer épisodiquement à des violences ou à des incivilités comme on l’a vu récemment avec la mise en cause d’élus d’En Marche dans diverses agressions (ratonnade d’un adversaire, morsure contre un chauffeur de taxi, etc.). Face à ce risque, il serait prudent d’être à la fois le plus ouvert possible aux gens ordinaires tout en restant plus sélectif à l’égard des éléments radicaux.
Plaristes Evariste- Vénérable
- Messages : 25190
Date d'inscription : 04/06/2020
Re: Leçons à Volog.
... Ben oui Plaristes, le galvaudages des mots ne date pas que d'hier (c'est une technique de manipulation ancestrale).
Edouard de Montmonrency- Vénérable
- Messages : 20679
Date d'inscription : 02/01/2022
Re: Leçons à Volog.
Plariste, tu te vologises là, avec tes textes à n'en plus finir et que personne ne lira....
Tu mérites beaucoup mieux que de tomber dans les banalités et platitudes de l'autre minable et enfoiré de trotskard !!!!
Jean-Louis de Toqueville- Vénérable
- Messages : 11689
Date d'inscription : 03/12/2021
Re: Leçons à Volog.
bah ça tombe bien c'est pour lui parler à lui.
Et ce sont des bons conseils de vie.
Et ce sont des bons conseils de vie.
Les « antifascistes » tentent de constituer une contre-culture, qu’ils associent, à tort ou à raison, à une certaine forme d’extrême gauche, et ils aimeraient vous considérer comme une contre-culture opposée à la leur afin de se trouver un adversaire identifiable et une raison d’exister comme groupe belliqueux. Leur logique, tout à fait artificielle et déconnectée des problèmes réels du quotidien, est celle d’une guerre des clans. Il faut refuser cette guerre-là, parce qu’elle est régie par la loi du talion et qu’elle mène à une escalade sans fin, et il faut la refuser surtout parce que vous ne vous êtes pas donnés pour objectif de jouer à ça mais d’intervenir sur la société. Si vous êtes attaqués au coin d’une rue, bien sûr, vous pourrez difficilement ignorer vos assaillants et faire comme s’ils n’existaient pas, vous seriez bien obligés de vous défendre et vous serez légitimés à le faire. Mais ces altercations, vous ne devez pas les souhaiter, vous ne devez pas chercher à les provoquer et vous devez même tout faire pour les éviter. Lorsqu’un marmot vous tire par la manche avec insistance pour vous emmener je ne sais où, là où ne vous voulez pas aller, il vaut mieux l’ignorer, c’est le meilleur moyen de le renvoyer, de guerre lasse, à son bac à sable.
Plaristes Evariste- Vénérable
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Date d'inscription : 04/06/2020
Re: Leçons à Volog.
Nous ne sommes bien sûr plus au temps de Socrate : les débats politiques se passent un peu moins sur l’agora et un peu plus sur internet. Les réseaux sociaux ont pour une grande part remplacé les interactions sociales de la place du village. Les règles de communication sont néanmoins à peu près les mêmes, au sens où il convient aussi, lorsque vous êtes devant votre ordinateur, d’argumenter honnêtement, de vous adapter à vos interlocuteurs et de ménager leur susceptibilité. Il existe toutefois quelques différences, liées au support et au caractère de médiation de ces réseaux sociaux. Pour illustrer ce point je vais faire une analogie. Lorsque vous avez suivi à la télévision le débat du deuxième tour des élections présidentielles et que vous avez écouté les arguments de Macron, avez-vous pensé que l’objectif du futur président était, en débattant comme il l’a fait, de convaincre sa rivale du bien fondé de son programme ? Avez-vous pensé que Macron aurait pu espérer ne serait-ce qu’une seconde qu’à l’issue du débat, Marine Le Pen lui serre chaleureusement la main et s’exclame : « C’est vous qui aviez raison depuis le début, vous m’avez ouvert les yeux ! » ? Une telle hypothèse paraitrait ridicule. Nous savons tous qu’en argumentant comme ils l’ont fait, les deux candidats ne cherchaient pas à se persuader l’un l’autre mais à convaincre ceux qui les regardaient, c’est-à-dire les Français. Ce n’est évidemment pas l’opinion de Marine Le Pen qui comptait aux yeux de Macron (et inversement) mais l’opinion des électeurs. Chacun d’entre vous, je pense, conviendra de ces évidences.
Eh bien si vous admettez ce mode de communication lors d’un débat télévisé, pourquoi ne l’admettez-vous pas sur les réseaux sociaux ? C’est pourtant, toutes proportions gardées, le même mécanisme qui est à l’œuvre. Mettons-nous en situation : un adversaire politique vous prend à partie sur les réseaux sociaux, il vous attaque, vous pousse à vous défendre ou à contre-attaquer. Autant vous révéler tout de suite la fin de l’histoire : vous aurez beau argumenter comme un beau diable et mobiliser des trésors d’éloquence, il y a très peu de chances que votre adversaire se range à vos arguments et vous donne raison in fine. Et cela pour plusieurs raisons : parce qu’il est comme vous un militant convaincu de ses idées (il ne peut donc faire preuve de cette neutralité bienveillante qui est le propre de la pensée molle) ; parce qu’il se trouve avec vous dans un rapport conflictuel et polémologique qui lui interdit de ne rien céder, toute concession risquant d’apparaître comme un désaveu de ses propres idées ; parce que si, dans son for intérieur, il finissait par vous donner raison à la faveur d’une remise en question (c’est rare mais cela peut arriver), il conserverait ça pour lui et se garderait bien de l’avouer et de vous concéder ce plaisir, qui équivaudrait à votre triomphe et à son échec. On peut attendre des gens qu’ils évoluent dans leur conscience mais on ne peut pas attendre d’eux qu’ils acceptent de perdre la face – et cette typologie de l’adversaire, je le rappelle, est aussi la vôtre.
Plaristes Evariste- Vénérable
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Date d'inscription : 04/06/2020
Re: Leçons à Volog.
Bon certains conseils s'appliquent difficilement à Volog :
êtes des opposants au système en place, et parce que, mieux formés intellectuellement que la plupart de vos adversaires
Plaristes Evariste- Vénérable
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Date d'inscription : 04/06/2020
Re: Leçons à Volog.
Plaristes Evariste a écrit:Bon certains conseils s'appliquent difficilement à Volog :êtes des opposants au système en place, et parce que, mieux formés intellectuellement que la plupart de vos adversaires
Ah là, en effet, je suis complètement de ton avis, il n'est pas du tout concerné
Jean-Louis de Toqueville- Vénérable
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